L'Élysée a "ouvert les portes de ministères" à Nestlé Waters, alors qu'il "savait" que le groupe "trichait depuis plusieurs années", a déclaré mardi le rapporteur de la commission d'enquête sénatoriale sur les eaux en bouteille.
La commission devait auditionner le secrétaire général de l'Élysée Alexis Kohler, démissionnaire, mais celui-ci a décliné en invoquant un motif de "séparation des pouvoirs". L'audition a été remplacée par une brève présentation de "74 pages de documents" transmis par l'Élysée, démontrant selon le rapporteur la "densité" des échanges entre Nestlé et la présidence.
"La présidence de la République était loin d'être une forteresse inexpugnable à l'égard du lobbying de Nestlé. Au contraire, les contacts sont fréquents et l'Élysée ouvre les portes de certains ministères au groupe suisse. La présidence de la République savait, au moins depuis 2022, que Nestlé trichait depuis plusieurs années" sur les traitements de ses eaux minérales Perrier ou Hépar, a déclaré Alexandre Ouizille.
"Elle avait conscience que cela créait une distorsion de concurrence avec les autres minéraliers. Elle avait connaissance des contaminations bactériologiques voire virologiques sur certains forages", a assené le sénateur PS en citant certains passages de notes internes. Les échanges et rencontres entre Nestlé et l'Élysée vont de 2022 à fin 2024.
Une centaine d'auditions
En quatre mois, la commission a auditionné près de 100 personnes, dont trois ministres et anciens ministres, pour essayer d'"établir une véritable transparence sur un dossier qui n'a cessé de faire l'objet de dissimulations au public, à certaines administrations, voire à la représentation nationale", a déclaré mardi son président Laurent Burgoa (LR). Le scandale a éclaté début 2024, après des révélations de journalistes du Monde et de franceinfo sur l'utilisation par des minéraliers de traitements interdits.
Nestlé Waters avait pris les devants juste avant la publication en avouant des pratiques "passées" et annonçant le remplacement de filtres à charbon et traitements UV par un système de microfiltration à 0,2 micron. Le gouvernement, informé dès 2021 par Nestlé, a approuvé en 2023 son plan de transformation incluant la microfiltration, alors que le seuil retenu faisait débat, le procédé ne devant pas aboutir à une désinfection des eaux minérales selon la réglementation européenne.
Dans des notes internes à la présidence de 2022 citées par le rapporteur, des conseillers évoquent "un usage trop important de filtration" mais aussi des "vulnérabilités" de certains sites Hépar, où des forages ont depuis été arrêtés. Un courriel de fin 2024, reçu par M. Kohler d'un conseiller de la présidence, évoque pour Perrier dans le Gard des "sources de plus en plus régulièrement polluées, notamment de source bactériologique et en partie de matières fécales".
Il évoque aussi de possibles "problèmes entre les marques: ceux qui ont une eau pure n'ont pas intérêt à ce que leurs concurrents puissent utiliser des techniques de purification". Nestlé Waters a toujours défendu la "sécurité alimentaire" de ses produits et sa démarche de transparence auprès des autorités, niant toute pression sur les décideurs et demandant une "clarification" de la réglementation sur la microfiltration. Sollicité mardi, le groupe n'a pas souhaité réagir davantage.
Après de nouvelles révélations en février, Emmanuel Macron avait démenti être au courant du dossier, ajoutant qu'il n'y avait eu ni "entente", ni "connivence".
"Incompréhensible"
"Le 10 octobre 2024, alors que la proposition de commission d'enquête au Sénat existe déjà, le secrétaire général de l'Élysée reçoit le nouveau directeur général de Nestlé, Laurent Freixe (qui sera auditionné mercredi, NDLR), accompagné de Muriel Lienau, présidente de Nestlé Waters", a poursuivi M. Ouizille, annonçant la prochaine mise à disposition du public de l'intégralité des documents transmis par l'Élysée à la commission, une première.
"Le 14 octobre 2024, Nicolas Bouvier, lobbyiste de Nestlé Waters, relance le secrétariat de M. Kohler, celui-ci ayant indiqué à Laurent Freixe lors de leur entretien qu'il fournirait les bons contacts à solliciter au sein des ministères", a-t-il ajouté. Au vu des documents, le refus de se présenter de M. Kohler est "incompréhensible", selon M. Ouizille.
Selon une ordonnance du 17 novembre 1958, toute personne qui ne comparaît pas ou refuse de déposer devant une telle commission est passible de deux ans d'emprisonnement et de 7500 euros d'amende. Face au peu de chance qu'une procédure judiciaire aboutisse, la commission proposera dans son rapport, prévu mi-mai, "une modernisation de l'ordonnance pour que les pouvoirs du Parlement soient respectés", selon le rapporteur.
Cet article a été publié automatiquement. Sources : ats / awp / afp